jeudi 21 juillet 2016

COSCRADH - Coscradh



COSCRADH


- Coscradh








Genre :  Black/death
Label : Invictus
Date : 29 Juillet 2016


Tracklist :
1. Buried
2. Lynch
3. Drowned
4. Coscartac






     Après une (très) certaine absence, d’occupations et d’excuses bidons au service de ma flemme indécrottable, je me remets au service, avec un cadeau d’excuse qui n’en est pas des moindres (vous remarquerez ma tentative de rattrapage par la biais d’une sortie sur laquelle je n’ai aucune quelconque influence, mais que serait la tête si elle n’était pas sur le plateau d’argent, hein ?). Bref, voilà Coscradh, formation tout droit venue des terres pluvieuses et froides de l’Irlande, celle où l’on aboye de l’argot gaélique gratifié de crachats glaireux, et où bouillonne dans le coeur des hommes une fureur guerrière, inextricable de rancoeur et et de fougue. 
  Première démo éponyme du groupe, elle ne tergiverse point dans la timidité ou le doute. Toute la pièce est une grande tapisserie représentant un folkore irlandais crasseux et plein de mystères, sur laquelle les musiciens en colère badigeonnent à grands coups rageurs de pinceaux imbibés de sang, pour y peindre d’immondes figures archaïques et y inscire d’infâmes messages de mort à tout prétentieuse tentative de raffinement ou de futile subtilité de la part de l’espèce honnie et absurde des hommes. Face aux faibles innocents qu’ils rêvent de massacrer, pensée largement appuyée par les riffs vociférants et efficaces de guitare, des grognements bruts et gutturaux du chanteur, et de la cacophonie vengeresse de la batterie, pourtant au début de la démo simple cadence martiale ramassée, qui verse de plus en plus dans l’éxutoire incontrôlé, Coscradh se dresse en s’armant d’une toute désignée rancoeur et envie sanglante de massacre arbitraire, tout en fulgurance et en sauvagerie, pour, sans tenter d’expliquer rationnellement cette folie, chanter dans cette ode à la violence la misère des humains, impuissantes victimes de la mort, dans la plus incompréhensible et révélatrice des psychoses humaines. 
  Les artistes se révèlent d’ailleurs audacieux, en sortant des limites du black metal (qui suffirait sans doute à plus d’un) pour faire muter leur oeuvre, à force de houlis dans leurs accords noirs et vindicatifs, à la forme bien plus lourde et pesante du death metal. Procédé qui met d’ailleurs en évidence, sous une lumière très intéressante, le lien logique des thématiques des deux genres, à savoir la violence et la rage, au service de l’ultime absolu de la mort, l’un allant de pair avec l’autre. Sans clamer une originalité folle puisque ce genre de mélange est très (très) largement répandu, les musiciens de Coscradh se dénotent par leur habilité à justifier cet amalgame (plutôt que d’y opter par simple choix artistique un peu hasardeux ou par conformisme des parutions actuelles de ce genres) avec des arguments facilement perceptibles au travers de leur riffing de violence monocorde, ne laissant aucun répit à l’auditeur, aucun silence. Les percussions qui ressemble de près à un tabassage en règle des fûts, le fond presque bruiteux fourni par la guitare rythmique, complexifié par des mélodies tarabiscotées et suraiguës (qui ne sont pas sans rappeler certains solos de Morbid Angel à ses débuts, des titres comme « Chapel of Ghoul » notamment), à la rapidité hallucinante d’une guitare harmonique hyperactive, le tout surplombé par les exhortations guerrières du vocaliste, donnent l’impression d’une plongée toujours plus profonde dans une tornade de violence et de rage. Toute l’oeuvre est construite par échelon de gravité et de violence, formant dans son ensemble une ovation toujours plus grandissante et contagieuse pour pousser son auditeur à la transe guerrière irrésistible, où tout est placé en-dessous du portrait hideux de la mort, sépulcrale et immuable. 
     Si le format est sans doute un peu court pour que la formation se dévoile dans tout son potentiel (et puisse être jugée par la suite), c’est un premier pas déjà très encourageant et mature de la part des musiciens, qui osent et réussissent là où les uns se perdent dans une symétrie insipide et facile des canons du genre, et les autres trébuchent, se perdant dans des concepts qui recherchent tellement l’originalité qu’ils en deviennent farfelus sans justification artistique qui tienne la route derrière. Un coup tout pile à l’endroit où il faut que ça bouge et qui, je dois le reconnaître, conquiert dès la première écoute. 

mardi 12 juillet 2016

INTERVIEW - N.K.R.T





Entrevue avec Frater Stéphane, démiurge de N.K.R.T, cérémonie noire aux multiples facettes, originaire de Rouen. Je suis donc aller quérir des informations sur cette musique obscure, empreinte d'un Black Metal vidé de ses instruments classiques et emplie de spiritualité.


I. Tout d'abord, pourriez vous présenter et décrire l'entité qu'est N.K.R.T ? Quelles sont ses aspirations, ses origines ?

Frater Stéphane : J'ai évolué sous les avatars "Nekurat" puis "Frater Stéphane" au sein du milieu Black metal en jouant dans les groupes Alienchrist, Hyadningar et plus tard Sordide. Au fil du temps, il m'a été de plus en plus difficile de trouver l'inspiration par le biais de la formule instrumentale du Black metal, j'étais obsédé par l'envie de prolonger ce style en en matérialisant ma propre vision. J'ai fondé Mhönos - d'abord comme un projet unipersonnel avant de le fusionner en une formation de cinq, six puis sept musiciens - afin de chercher dans des compositions débarrassées de la batterie et des guitares la transe rituelle et noire que je fantasmais. Au bout de plusieurs années, je suis perdu à travers l'organisation fastidieuse et des individualités de la formation. Je n'arrivais plus à créer. J'ai alors tout abandonné pour rejouer seul et retrouver les éléments Black metal et rituels que j'avais perdus mais - chose que je n'avais pas anticipé lorsque Mhönos était un projet solo - en pensant ma musique de façon à pouvoir la jouer seul en concert et en poussant l'épuration instrumentale un peu plus loin.
     Les origines de N.K.R.T sont à chercher dans le Black metal des années 1990, les musiques rituelles tibétaines ou la liturgie grégorienne. L'aspiration de N.K.R.T est donc de proposer un style directement issu du Black metal mais débarrassé des instruments issus du rock tels que la basse, la guitare, la batterie, pour focaliser sur la noirceur et la transe. La musique est majoritairement vocale et accompagnée par des instruments fabriqués à partir d'ossements, de pierres, de bois, d'argile, ainsi que par quelques instruments tibétains. A l'instar de Mhönos, le latin reste l'unique langue utilisée.


II. J'aimerais m'attarder un peu sur l'aspect sacré qui se dégage de la musique de N.K.R.T. Il y a t-il une obédience particulière derrière ou est-ce le fait d'une spiritualité plus personnelle ? Pourquoi l'usage spécifique du latin ? C'est une langue qu'on aurait tendance à associer à une culture plutôt occidentale et pourtant le voila mêlée à des instruments tibétains.

Frater Stéphane Il n'y a pas d'obédience particulière si ce n'est à la solitude et à l'isolement. Les textes sont des incantations appelant à la libération des tentations de l'ego et à l'acceptation de la vacuité en tant que seule vérité acceptable.
     L'usage du latin est motivé par le fait que la musique de N.K.R.T ne relève pas de la "chanson". En premier lieu et bien que les textes soient tous soigneusement écrits, la musique doit primer sur le message. Cet usage est aussi lié à la réserve et à la discrétion qui sont indissociables pour moi de N.K.R.T. L'usage d'une langue morte s'inscrit dans une vision globale qui consiste à jouer dans la quasi pénombre et le visage dissimulé. Le côté extatique de la musique doit primer sur l'individu qui ne doit jamais être mis en avant au risque de détourner le côté transcendantal en l'amenant vers un culte fantasmé de l'ego. Enfin, le latin, bien que langue morte, n'est pas un langage inconnu ou inventé. Les textes sont intelligibles si on passe par la traduction. L'association de cette langue avec les instruments tibétains, aztèques ou fabriqués par mes soins me paraît naturelle car elle véhicule un message universel : Scio me nihil scire « Je sais que je ne sais rien. »


III. N.K.R.T a performé sur scène déjà plusieurs fois, quels sont les retours ? Votre musique s'apparente à une cérémonie, sa vocation est-elle donc d'être jouée sur scène ? D'être vécue ? Le résultat obtenu vous satisfait-il ? J'imagine que cela doit être une musique assez difficile à mettre en place.

Frater Stéphane : Les retours sont très mitigés, allant du très élogieux à l'incompréhension totale. J'ai joué quelquefois parmi des groupes dont le public ne soupçonnait même pas l'existence d'une telle musique et terminé certains concert devant des salles presque vides mais je reste très satisfait car partager un concert avec quelques spectateurs est pour moi une chose formidable tant l'échange est palpable et sincère.
     La musique est en effet construite autour une ossature très rituelle et cérémonielle. Sa vocation est clairement d'être jouée sur scène et les enregistrements se font à la façon d'un concert en solitaire, de façon "live". Lorsque je me plonge dans le rituel de N.K.R.T, je laisse la musique m'envahir et me transporter presque au dessus de mon corps. Le résultat obtenu est une catharsis, une thérapie. Je suis plus que simplement satisfait car cette pratique est devenu au fil du temps nécessaire à on équilibre.
Sa mise en place est en revanche assez aisée en comparaison d'un travail de groupe car sa pratique exclusivement unipersonnelle - en dehors des collaborations occasionnelles - m'a permis de ne plus être tibutaire de l'organisation liée à la pratique collective et n'étant tributaire que de moi-même, de travailler énormément et facilement.



IV. A propos de la construction musicale, je suis  curieux de savoir comment composez vous une telle musique ? Est-ce par exemple une musique écrite au sens classique ? Nous avons déjà abordé  ce qui pourrait être des influences, mais il y a-t-il des sources d'inspirations particulières ?

Frater Stéphane La musique est construite autour d'une trame composée et ordonnée autour du texte chanté. Ensuite, en suivant les rythmes de la psalmodie, de la narration et la durée élastique des quelques parties instrumentales, l'interprétation varie au fil des concerts. Je pense que c'est ainsi que la musique reste vivante.
     Il y a comme pour tout des sources d'inspiration particulières. J'ai été très marqué par un concert d'Attila Csihar avec son projet solo Void Ov Voices et par des concerts des moines tibétains de l'école de Gyutö aux quels j'ai assisté. Les albums Filosofem de Burzum et Pornography de The Cure ont façonné ma personnalité et ressortent forcément _ même de façon infime - à travers la musique de N.K.R.T. J'ai également été très influencé par un groupe de ma ville - Rouen - et que je considère comme l'un des plus brillants qui soient : ROSA CRUX. Ma ville qui est une cité à la fois très gothique et très industrielle exerce aussi une influence considérable sur ma façon de voir les choses. J'ai oublié de citer Abruptum qui est un des groupes qui a pour moi remis beaucoup de choses en question musicalement.


V. A l'heure de la musique numérique, pourquoi ces instruments atypiques tels qu'entre autres les os et les pierres ? Qu'associez vous personnellement à ces instruments organiques, là où bien d'autres se servent de synthétiseurs ?

Frater Stéphane : Jouer de la musique avec des matériaux naturels m'a toujours beaucoup attiré. Je les associe naturellement à la voix qui est l'essence même de la musique organique. Souffler dans des os ou les percuter par exemple, ça a quelque chose de très primitif, presque chamanique. C'est inhérent à la quête de la transe au travers de la pratique de la musique. J'utilise toutefois des pédales d'effets tout en veillant à me limiter à l'analogique.



VI. J'aimerais me pencher un peu plus sur « Niger Ritus », qui est récemment sorti en cassette chez Tour de Garde. Comment pourriez vous le décrire ? Quelles sont les clefs permettant d'appréhender cette œuvre en particulier ? En surface une musique comme la votre peut sembler très opaque et les différences entre les pièces et œuvres peuvent sembler obscures au profane.

Frater Stéphane : Niger Ritus est une captation réalisée dans l'intimité de ce que je propose en concert. Cet enregistrement est construit comme un triptyque qui illustrerait un cheminement de la lumière vers les ténèbres, mis en musique par une progression des chants clairs et psalmodiés vers le chaos des vocaux hurlés, accompagnée par les ajouts successifs des instruments.
     Pour aborder la pièce, je pense qu'il faut laisser de côté toutes les attentes liées aux codes habituels des musiques extrêmes et prendre le temps de l'écouter d'une traite. La progression dans la noirceur peut paraître obscure et chargée compte tenu de la densification des couches vocales et instrumentales. Je pense et j'espère qu'elle mérite plusieurs écoutes pour réussir à s'y immiscer et à s'en imprégner.



VII. Vous l'avez dit, vous avez longtemps été un acteur de la scène Black Metal française (Hyadningar, Alienchrist et Sordide entre autres) mais depuis quelques années, vous semblez vous être tourné d'avantage vers d'autres horizons avec des groupes comme Mhönos ou l'excellent Spleen XXX. N.K.R.T semble faire la jonction de ces deux univers, ce projet est-il une continuité, une évolution de votre Black Metal, de votre musique ? Vous disiez vouloir vous débarrasser des instruments hérités du Rock. Les perceviez-vous comme une limite dans l'expression de votre art ? Comptez-vous tout de même refaire partie d'un projet Black Metal plus classique ?

Frater Stéphane : J'ai retrouvé au travers de N.K.R.T la liberté et l'entrain que je ressentais lorsque j'avais enregistré le premier album de Mhönos, Miserere Nostri. Pour moi, ce projet est la continuité directe de cet album et effectivement une évolution de "mon" Black metal. Les choses sont un peu différentes pour Spleen XXX qui est un duo et qui évolue dans une esthétique complètement cold wave/ post punk.
     Je ne considère pas les instruments traditionnels comme des limites mais j'ai cette velléité peut-être déplacée de ne pas m'inscrire dans un style déjà existant avec N.K.R.T. En 2014, j'avais composé et joué en concert un très long morceau basé sur l'emploi de la guitare, de la voix et d'une boite à rythmes mais je n'en étais pas satisfait. J'ai tout abandonné pour me lancer dans la recherche de nouvelles sonorités.Je pratique toutefois toujours le black metal de façon classique au sein d'un duo très "orthodoxe" qui s'appelle Mythrim et dont Tour de Garde a également sorti un enregistrement mais nous ne comptons pas jouer en concert.


IX. Une question peut-être un peu plus légère. Il y a-t-il des projets/personnes, metal ou non, avec qui vous aimeriez partager une affiche ? Ou une collaboration que vous désireriez ? Je pense par exemple à des unions telles que Sunn et Attila Csihar, que vous avez déjà cité.

Frater Stéphane J'ai très récemment eu le plaisir de collaborer avec une artiste très talentueuse qui habite la même ville que moi dont j'admire le projet "Clairière" que je vous invite à écouter. Cette collaboration a été enregistrée et sortira bientôt sur son propre label, Convulsion Solaire.
J'aimerais aussi collaborer avec des musiciens venant de traditions musicales extra-européennes.
Des collaborations avec des entités ou personnes incroyablement brillantes que Sunn ou Attila Csihar relèvent du rêve pour moi car je m'imagine plutôt comme un spectateur ébahi devant leurs prestations mais effectivement, elles me raviraient.


X. Et pour finir, Qu'envisagez-vous ou qu'espérez vous comme suite et avenir à N.K.R.T ?

Frater Stéphane A l'avenir, j''espère continuer à trouver des endroits et des organisations de concerts qui apprécient N.K.R.T et souhaitent me faire jouer. La suite que j'espère le plus, c'est de continuer à m'épanouir autant au sein de cette pratique musicale



- Sarcastique